LeStudio1.com


    L'empire QUEBECOR
    et son fondateur Pierre Péladeau (1925-1997)
    par Bernard Bujold
    _________________________________________________________________________
_______________________________________________________
___________________________________________________________
___________________________________________________________
Album Photos
Le fondateur de Quebecor
Pierre Péladeau
________________________
Chapitre 1
Une douce vengeance
Un empire est né

Pierre Péladeau dirigeait, en décembre 1997 au moment de sa mort, une entreprise qui employait
plus de 34 000 personnes et dont le chiffre d'affaires s'élevait à 6,3 milliards $ et le bénéfice net
à 146,8 millions $. La compagnie qu'il avait créée, QUEBECOR inc., comprenait trois entités qui
se complétaient au niveau des activités.

La première division, et celle qui avait été la base de démarrage de l’empire :
COMMUNICATIONS QUEBECOR inc., laquelle réunissait les journaux dont le Journal
de Montréal formait le point central. Les profits n'étaient pas énormes (revenus de 439 millions $
en 1996) mais la visibilité était significative. Le pouvoir détenu par Le Journal de Montréal servait à
ouvrir beaucoup de portes sur le plan des affaires et de la politique et à créer un respect autour de
Pierre Péladeau en tant qu’entrepreneur.

La deuxième filiale de l'empire était la section des pâtes et papier, DONOHUE Inc. (revenus de
1,6 milliard$ en 1996). La rumeur voulait que Robert Bourassa avait fait une faveur
à Péladeau en lui vendant les usines de Donohue qui appartenaient au gouvernement du Québec
(356 millions $ le 20 février 1987). Pour Quebecor, cette acquisition venait donner un élan aux
activités et surtout assurer un approvisionnement régulier en papier pour les journaux du groupe.
Péladeau devenait son propre fournisseur n'ayant plus à solliciter, parfois en position de faiblesse,
les autres fabricants en période de pénurie de papier.

C'est cependant la troisième entité qui avait fait de Quebecor un empire mondial.
IMPRIMERIES QUEBECOR inc.  (revenus de 4,2 milliards$ en 1996). D'abord constitué
de quelques presses servant à imprimer les publications maisons de Quebecor, l'éclosion s'était
produite à partir du décès de Robert Maxwell, le 5 novembre 1991.


Le fameux Robert Maxwell

C’est en 1987 que Péladeau avait accepté de s’associer avec Maxwell suite à une invitation du
vice-président pour le Québec de la Banque de Nouvelle-Écosse, André Bisson.
Le propriétaire du Daily Mirror de Londres  (tirage de près de 4 millions d’exemplaires)
se cherchait un fournisseur de papier et il voulait installer une usine en Amérique du Nord.
L'association avec une entreprise canadienne était essentielle sur le plan légal pour Maxwell
tandis que Péladeau trouvait lourde la dette de Donohue et il cherchait un partenaire pour partager
les frais et surtout le risque. Maxwell est devenu ce partenaire après des négociations que Péladeau
qualifiait de spectaculaires et qu'il racontait souvent à qui voulait l’entendre.
Les engueulades entre lui et Maxwell au Ritz de Montréal auraient été un haut fait de guerre et
elles figuraient en première ligne dans les conférences que prononçaient le magnat québécois.
Maxwell avait accepté d’investir 156 millions $ en échange de seulement 49% des actions
alors qu'il en exigeait 51%.

Robert Maxwell était un personnage plus grand que nature.
Il était né en Hongrie le 10 juin 1923, ce qui le plaçait dans la même génération que Pierre Péladeau.
Maxwell avait d’abord eu une carrière militaire en 1940 avec l’Armée anglaise où il s’enrôla à titre
de soldat étranger. Il y a combattu jusqu’à la Libération du 4 mai 1945.

À sa naissance, Robert Maxwell avait pour nom Jan Ludvik Hoch et il fut élevé au sein d'une famille
juive pauvre. Lors de l'occupation de sa région d’origine par le Troisième Reich, il parvint à
s'échapper mais sa famille fut exterminée. En obtenant plus tard la citoyenneté britannique,
il changera de nom pour s'appeler Robert Maxwell.

Maxwell était fier de ses exploits dans l'armée mais c’est sa deuxième carrière qui en fit un citoyen
connu mondialement.  En 1944, il s’était marié avec Elisabeth Meynard (Betty Maxwell)
qu’il avait rencontrée durant la guerre, elle était infirmière. Ils s’établirent à Londres, sa nouvelle
ville d’adoption, où il mit à profit ses relations pour créer diverses entreprises de vente. Il publiera
entre autres les revues scientifiques de l'éditeur spécialisé allemand  Springer Verlag  à une époque
où il était interdit à cet éditeur de le faire en son nom propre. Profitant du succès de cette opération,
il racheta en 1951 le petit éditeur Pergamon qui fut la base de son empire. Pergamon fut pour
Maxwell ce que fut le Journal de Montréal pour Pierre Péladeau.  Cette similitude a d’ailleurs
contribué à rapprocher les deux hommes lorsqu’ils se sont rencontrés pour négocier un partenariat
dans Donohue.

Dans le cas de Maxwell, c’est en opérant au niveau international dans la vente d'encyclopédies et
de revues scientifiques qu’il parvint rapidement à faire fortune et à développer Pergamon en tant
qu’éditeur important. Il fit de la politique, à titre de député travailliste à la Chambre des communes
britannique de 1964 à 1970, mais il ne fut pas réélu. On lui reprochait ses manières brusques et
arrogantes.

Maxwell inscrivit son entreprise en Bourse mais il se querella tellement avec les actionnaires,
qu’en 1969 il perdit le contrôle de la compagnie. Il se servira plus tard de sa Fondation Maxwell
pour reprendre le contrôle en 1974. Par la suite, en 1981, il racheta la British Printing Company
pour créer le groupe Maxwell Communications Corporation. C’est à cette époque qu’il racheta
le groupe publiant le journal britannique The Daily Mirror, ainsi que  l'éditeur Reed International.

En 1987, Il était à son apogée et il possédait de nombreuses participations dans diverses activités,
essentiellement dans le domaine des médias. Il agissait comme la vedette de son empire et il écrivait
souvent des textes dans ses journaux dont The Daily Mirror. Il fut même l’un des partenaires de
Francis Bouygues dans le projet de privatisation de la chaîne de télévision française TF1.
On dit qu’il était devenu un ami de François Mitterrand .

Tout au long de sa carrière d’homme d’affaires, Maxwell fut cependant perçu comme un dirigeant
aux pratiques agressives et parfois à la limite de la légalité. Il gérait son empire selon des critères
financiers douteux et il manquait de stabilité financière. De son vivant, Robert Maxwell a toujours
fait taire les critiques grâce à son pouvoir dans le monde médiatique et l’art de cacher la réalité.
Il était un habile menteur...

Lorsque Pierre Péladeau s’associa avec Maxwell, au printemps de 1987, ce dernier était un
propriétaire de presse important et respecté mais la situation du magnat de Londres commençait
à s’effriter et à démontrer des signes de faiblesse.

C’est l'échec du quotidien The European lancé en 1990 qui provoqua la chute et força Maxwell à
vendre la Pergamon au groupe Elsevier. Il profita des fonds pour racheter le New York Daily News,
que Péladeau admirait, mais des journalistes se mirent à enquêter sur un possible détournement
de fonds des pensions de retraite des employés de ses sociétés.

Les dirigeants de Quebecor avait eux aussi commencé à être inconfortables car Maxwell ne payait
pas ses comptes d’achat de papier auprès de Donohue. Il disait être un partenaire et il proposait
continuellement des ententes pour repousser le paiement des sommes dûes.

À l'âge de 68 ans , le 5 novembre 1991, Maxwell serait tombé de son yacht alors qu'il était au large
des Îles Canaries. Son corps fut retrouvé flottant dans l'océan Atlantique dévoré partiellement par
les poissons. Bien que la cause officielle de sa mort soit une noyade accidentelle, plusieurs parlent
de meurtre ou de suicide. Parmi les nombreuses rumeurs, on entendit celle qu'il était un agent du
Mossad. Il aurait été tué alors qu'il voulait récupérer l'argent qu'il avait prêté au Mossad.
Les services secrets israéliens auraient refusé et ils l'auraient éliminé de peur que Maxwell
dévoile sur la place publique de nombreuses informations secrètes.

C’était l’opinion de Pierre Péladeau à qui j’avais annoncé la mort de Maxwell. Immédiatement,
sa réaction fut de me déclarer : «Ils l’ont poussé par-dessus bord. Il jouait avec des
gens très dangeureux qui ne reculent devant rien.»

Les entreprises de Robert Maxwell ne lui survécurent pas et elles firent faillite ce qui s’avéra un
bénifice pour Quebecor qui put ainsi racheter les actions en partenariat avec Maxwell et ce à un
prix avantageux. En 1990, les Imprimeries Quebecor s’étaient associés avec Maxwell Graphic.
En 1991, lors des difficultés financières de l’empire de Maxwell, l’ensemble des activités a été
fusionnées au sein de Quebecor. On pourrait même avancer que c’est par cette transaction
que les Imprimeries Quebecor ont pu amorcer leur essor mondial grâce notamment au rachat de
la participation dans les 16 usines de Maxwell Graphics installées aux Etats-Unis

Le malheur de Maxwell aura fait la chance de Quebecor !

Au moment du décès de Pierre Péladeau, les revenus consolidés des Imprimeries Quebecor
atteignaient 3,1 milliards$ US (1996) pour un bénéfice net de 126,3 millions$ US et
un total de 30 000 employés dans 218 usines. En 2002, on atteindra le sommet de
40 000 employés.

Aujourd’hui en décembre 2007, les Imprimeries Quebecor sont en grandes difficultés financières.
L’action qui a déjà été transigées à près de 40$ en 2002 se vend à moins de 1$ chacune et la dette
de Quebecor World s’élève à plus de 2,4 milliards$. L’entreprise ne possède plus que 120 usines
et compte 29 000 employés. Les revenus en 2006 atteignaient 6,086 milliards$ US pour
un bénéfice net de 28,3 millions$. Les revenus consolidés pour les neuf premiers mois de 2007
ont été de 4,17 milliards$, comparativement à 4,47 milliards$ pour la même période en 2006.
Pour les premiers neuf mois de 2007, Quebecor World a déclaré une perte nette de ses activités
de 374 M$, comparativement à un bénéfice net 19 M$ pour la même période en 2006.

Quebecor Inc. est devenu le roi de l’Internet par le biais de sa filiale Videotron,  
mais ses imprimeries sont à l’agonie. Dans un sens, c'est le retour à la case départ et le coup
d'éclat qu'avait accompli Pierre-Karl Péladeau en février 1995 en France, avec l'acquisition
des usines du groupe Jean Didier alors en faillitte, pourrait se répéter mais envers Quebecor.


LA MORT DE QUEBECOR WORLD  
(Texte ajouté le 17 janvier 2008)

Le deuxième plus grand imprimeur au monde fut l’oeuvre de Pierre Péladeau .
Les imprimeries QUEBECOR WORLD ont cependant été développées par Charles Cavell,
un véritable motivateur et celui qui avait été le vrai responsable de la propulsion de
l’entreprise au rang des leaders mondiaux. Il s’est retiré en février 2003 après 15 ans à la
direction de la filiale.
J’ai reçu plusieurs courriels de gens qui me demandent ce que penserait Pierre Péladeau s’il était
encore vivant. Certains ajoutent qu’il doit se retourner dans sa tombe!
(Il n'a pas de tombe car il a été incinéré...)
Selon-moi, la seule erreur commise par la direction des Imprimeries Quebecor est de ne pas avoir
vendu avant la baisse des titres et dès la perception évidente que la défaite de l’imprimerie face à
l’Internet était incontournable. L’industrie de l’imprimerie est en perte de vitesse définitive et
on peut conclure que ce service deviendra un élément de convergence plutôt qu’un secteur en soi.
Quebecor aurait dû conserver les imprimeries pour ses journaux et ses magazines mais se départir
de ses installations ailleurs dans le monde afin de se concentrer dans le secteur Internet.
Mais un propriétaire d’entreprise n’accepte jamais de réduire son pouvoir et son prestige avant d’en
être obligé et qu’il soit bien souvent trop tard. Seul les vrais entrepreneurs acceptent d’abandonner
en plein milieu de la partie et Pierre Péladeau père était de ceux-là. Il avait bien sûr été frondeur
à ses débuts mais une fois sa base financière bien en place, il n’a jamais plus tout risqué sur un
projet et il n’hésitait pas à fermer rapidement une division si elle était non rentable, et ce malgré
les avis parfois contraires des directeurs concernés.
Je l’ai écrit ailleurs dans ce texte (voir chapitre 4), Pierre Péladeau  était une contradiction en soit
car il entretenait le mythe du preneur de risque fonceur mais dans la réalité il avait un style très
conservateur et il retardait toujours la prise de décision jusqu’à la dernière minute. Cela avait
l’avantage qu’après un certain temps, 9 fois sur 10, le problème avait disparu ou il s’était réglé de
lui-même. Péladeau était cependant très expéditif dans le cas d'une entreprise qui ne rapportait pas
de profit, au risque de l'éliminer trop rapidement.
Dans le cas de QUEBECOR WORLD la seule solution était la vente sauf que l’entreprise ne vaut
aujourd'hui plus rien sur le marché boursier! La situation rappelle celle de NORTEL.
Les entreprises commerciales sont comme des arbres. Le cycle normal de vie comprend la naissance,
la croissance, la maturité et inévitablement, la mort. Le défi pour un entrepreneur est d’essayer
de choisir le moment de la fin de son entreprise mais comme on le dit dans un film de Philippe Noiret:
« Il y a cent façons de mourir et on ne choisit pas toujours laquelle sera appliquée… »

LES PROJETS DE PIERRE PÉLADEAU EN TÉLÉVISION
(Texte ajouté le 28 janvier 2008)

La télévision fut à un certain moment un secteur économique privilégié car la publicité rapportait
gros et le prestige d'y travailler était très recherché.
Pierre Péladeau adorait ce secteur et il voyait dans l'acquisition du réseau TQS, en 1997, un nouveau
jouet. Une sorte de cadeau de fête qu'il s'était offert pour rendre sa retraite agréable. J'étais content
moi aussi car j’ai toujours aimé le média de la télévision et il m'avait promis que j'occuperais
le poste de chef d'antenne au bulletin de nouvelles de TQS.
Dans une autre vie, j’avais été animateur dans une petite station en région alors que je faisais la
lecture quotidienne des nouvelles à CHAU-TV en Gaspésie. C'était la belle époque! J’avais 19 ans et la
société d’alors était sans prétention. C’était bien avant l’Internet (1976) et on recevait nos informations
sur une sorte de télécopieur à clavier très bruyant qui était alimentée par une agence de presse à
Québec. Pour la météo, je regardais à l'extérieur avant le bulletin et j'improvisais! (Je suis sérieux!)
Je parlais souvent de cette période avec le fondateur de Quebecor. Pierre Péladeau voulait développer
TQS en une station locale et totalement Montréalaise. Est-ce qu’il aurait réussi? Probable car il en
avait les moyens financiers et il avait le sens de la convergence. Il connaissait aussiparfaitement
Montréal et le secteur du spectacle. Il avait même fait des premières démarches pour embaucher
Marcel Béliveau, celui qui a créé le concept de Surprise Sur Prise, à titre de directeur général.
Malheusement Pierre est mort avant de pouvoir mettre ses idées à exécution. Marcel Béliveau n’a
jamais été embauché, pas plus d’ailleurs que moi comme chef d’antenne…
Aujourd’hui en 2008, lorsque je passe devant les bureaux du réseau de télévision TQS, situées au
612 de la rue St-Jacques à Montréal, cela me rappelle beaucoup de souvenirs.
Je me dis parfois que l'édifice doit porter malheur car les deux entreprises qui y habitent (TQS et
QUEBECOR WORLD) sont en graves difficultés financières, pour ne pas dire en faillite. Le cas de TQS
est plus triste encore que QUEBECOR WORLD car il s’agit d’une petite organisation qui normalement
aurait dû bien fonctionner et réussir à s’imposer dans le marché. Je ne sais pas vraiment quoi répondre
lorsque l’on me demande pourquoi ces échecs financiers? Beaucoup de ce qu’avait touché Pierre
Péladeau et qui s’était transformé en or devient maintenant poussière de sable. Pour ceux qui croient
aux fantômes, on pourrait y voir un message de l’au-delà de la part de l’ancien magnat québécois.
D'ailleurs, une photo géante de Pierre Péladeau vous regarde lorsque vous entrez dans le lobby de la
rue St-Jacques... Mais il vaut mieux croire que c’est ainsi que va la vie. Le temps passe et avec le
passage s’en vont les institutions et les créations des gens de l’époque: Bronfman, Steinberg, Hollinger,
etc. Bonne chance aux nouveaux projets de 2008 car ils seront, pour un temps, les piliers de leur
époque! À moins que vous préfériez les fantômes?
Note: TQS a été vendu par QUEBECOR en 2002 lors de l’acquisition du réseau concurrent
TVA (Vidéotron).
en haut:
Robert Maxwell et
François Mitterrand
en bas:
Robert Maxwell et
Princesse Diana
à gauche:
Rupert Murdoch et
Robert Maxwell

en bas:
Yacht de Maxwell
Maxwell, Robert Bourassa
et Charles-Albert Poissant
en bas:
Maxwell et sa famille